Interview de Benoit Honnart
Diplômé de l’ESSEC, Benoit Honnart a occupé des fonctions dirigeantes dans le Groupe Legendre en Chine et aux Emirats Arabes Unis pendant près de 13 ans avant de rejoindre Electra à Dubaï en tant que COO. Nous avons fait connaissance à l’occasion de quelques séances de coaching au cœur de la tempête. Voici les réflexions et impressions d’un leader manageant en période de crise et d’incertitude.
Quel Leader êtes-vous ?
Je pense être un développeur. A travers les expériences que j’ai eues en Chine, aux Emirats et à travers le monde, j’ai toujours aimé créer, développer, découvrir de nouveaux marchés et explorer de nouvelles solutions. Je suis quelqu’un de très curieux qui aime ouvrir de nouvelles opportunités. Je suis dynamique aussi, j’aime être moteur. Mon style de leadership ? Résolument participatif. Je prends soin d’écouter mes équipes, je sollicite leur avis et je favorise le travail en commun. Et puis je suis quelqu’un de profondément positif et dans la situation actuelle c’est une vraie force.
Quel est votre point de vue de leader et de citoyen sur la situation que nous vivons aujourd’hui ?
Partagé. On est face à une situation où des choix ont été faits par nos gouvernants pour sauver des vies et ces mêmes choix vont demain laisser un fardeau très lourd à nos enfants et nos petits-enfants. Tout le paradoxe de cette crise est là : les décisions prises visent à sauver des vies – et c’est bien normal – et a contrario on met en danger beaucoup de gens à travers la planète, des gens très pauvres et qui vont l’être malheureusement encore plus après. On estime que la crise va accentuer la famine dans le monde et que de nombreuses personnes vont souffrir de la situation à venir, au-delà des personnes contaminées par la maladie. C’est tout ce paradoxe qui m’habite depuis le départ de cette crise. Aujourd’hui on ne connait pas encore tout à fait le prix des décisions prises et des impacts qu’elles vont avoir sur le monde.
Quels sont les défis que vous rencontrez en tant que Leader en cette période atypique ?
D’abord le premier en tant que leader, c’est de ne pas avoir de visibilité et de vivre dans un environnement très changeant. On prend des décisions sans connaitre les finalités. Peu de dirigeants vont être capables de dire comment va être le monde et comment va être leur marché dans les prochaines semaines, les prochains mois ou même la prochaine année. Prendre des décisions dans ce contexte-là, c’est très difficile. D’autant plus que comme on a pu le voir, il y a eu de nombreux rebondissements dans cette crise. Le défi c’est de diriger dans l’incertitude, et quand on a eu l’habitude de décider en prenant le maximum de précautions, en s’appuyant sur des chiffres et des analyses, des études, des conseils et des cabinets de consultants, là on se retrouve seul à la tête d’un bateau au milieu de la tempête, sans vraiment savoir quand la tempête va se terminer, quel type de vagues on va affronter… Il faut donc décider en prenant son courage à deux mains et en essayant d’être le plus visionnaire possible.
Le 2ème défi est un défi humain car pour la survie de l’entreprise (mon secteur d’activité étant très fortement impacté), nous avons été malheureusement obligés de nous séparer de certaines personnes, des personnes clés et ce sont des drames humains. Ce sont des temps difficiles pour un manager, de devoir restructurer une équipe, de devoir dire à des gens qu’ils ne pourront pas continuer l’aventure sinon l’entreprise ne pourra pas tenir.
Les autres défis sont structurels : comment adapter une entreprise quand le monde est confiné ? Comment structurer une entreprise et demander à toute l’équipe de travailler à distance alors qu’on ne l’a jamais fait auparavant ? Comment réorganiser une usine et essayer de maintenir un outil de production en demandant aux gens de respecter une distance sociale et de porter des gants, des masques … ? Quand on travaille sur un chantier, comment s’assurer que les équipes sont protégées ? Ce sont tous les défis structurels et opérationnels qui ont été révélés avec cette crise.
Quelle sont les ressources que vous avez mobilisées pour y faire face ?
J’ai beaucoup partagé parce que je pense que dans ce genre de crise on a besoin de parler. C’est dans ce genre de moment qu’on se sent seul en tant que dirigeant. Il y a des journées difficiles où on doit avoir des discussions dures avec les équipes et en fin de journée quand on repense à tout ce qui s’est passé on a besoin d’en parler. Moi j’ai beaucoup partagé avec mes pairs, d’autres dirigeants d’ici ou d’ailleurs y compris en Chine, parce que j’ai la chance d’y avoir vécu pendant presque dix ans. Pour moi c’était important d’avoir ce temps d’avance en sollicitant leur avis.
J’ai été entouré aussi par la famille et des personnes extérieures dont vous faites partie et pour moi c’était important. Echanger le plus possible…y compris avec mes concurrents. C’est la grande surprise de cette crise, c’est qu’entre concurrents on s’est appelé. Et encore aujourd’hui, sur un projet pour le gouvernement de construction d’un hôpital de campagne, on se parle et on travaille ensemble pour une cause commune qui nous dépasse. Et ça c’est je pense le côté très positif.
Quelle est votre vision pour l’avenir ?
Ce matin j’avais une réunion avec mes équipes et une des personnes m’a posé la question…Je pense que cette crise va avoir plusieurs effets. Le premier, c’est qu’elle va remettre en cause de nombreux choix économiques qui ont été faits par les pays sur des secteurs cruciaux.
Deuxièmement, elle va remettre en question le thème du travail à distance. Beaucoup de gens étaient sceptiques, et je trouve de manière générale que beaucoup de gens trouvent cela très positif aujourd’hui. J’espère que cela va permettre de trouver des organisations de travail différentes. D’avoir un équilibre personnel et professionnel plus sain tout en gagnant en efficacité. Je trouve que dans mes équipes, il y a une meilleure efficacité dans l’organisation du travail. Je pense qu’il y aura beaucoup d’entreprises qui se seront restructurées pendant cette crise ; en affrontant ce genre de tempête, c’est là qu’on se pose les vraies questions et c’est là qu’on met en exergue les faiblesses, davantage que dans les périodes de croissance. A la rentrée de septembre, on aura une structure qui aura complètement changé à la fois en termes de taille, d’organisation, de responsabilité des personnes et même de business model.
Imaginez que nous fassions un bond d’1 an dans le temps : Mai 2021 … vous regardez en arrière… que seriez-vous fier d’avoir réalisé ?
Je serais fier d’avoir fait survivre une entreprise, ce qui est le défi de nombreux dirigeants aujourd’hui. On n’est plus à se poser la question de quelle croissance, quel budget et quelle marge … ? Si l’entreprise survit ce sera déjà une belle victoire. Et que les équipes restent engagées dans le projet, qu’elles aient compris les choix difficiles qu’on aura dû faire. Des équipes qui demain seront fières de travailler dans cette entreprise, fières d’œuvrer pour l’avenir et pour un monde différent dans la manière de travailler et dans les valeurs humaines. Et enfin continuer à produire, à se développer et à grandir.